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Banking & Finance

Directive sur les contrats de garantie financière - Sûreté financière (dépôt de fonds en compte) garantissant la créance résultant de l'exécution d'une garantie bancaire - Procédure d'insolvabilité du preneur de la garantie

Dans un arrêt C-107/17 du 25 juillet 2018, la CJUE a été amenée à se prononcer sur certaines dispositions de la directive 2002/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juin 2002, concernant les contrats de garantie financière (JO 2002, L 168, p. 43), telle que modifiée par la directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009 (JO 2009, L 146, p. 37).

Une entreprise lituanienne avait versé des fonds sur un compte ouvert auprès de sa banque, en couverture de garanties à émettre par cette dernière au bénéfice de clients de l'entreprise, qui étaient situés en Inde. Il s'agissait, pour reprendre la terminologie très "fonctionnelle" de la directive relative aux garanties financières, d'une "garantie financière avec constitution de sûreté" (par opposition aux "garanties financières avec transfert de propriété", qui impliquent -pour autant que la solution soit recevable dans l'ordre interne concerné-, le transfert au preneur de la garantie de la pleine propriété des instruments financiers ou "espèces" donnés en garantie -au sens très particulier de cette dernière notion qui est donné par la directive). Comme c'est l'usage dans le commerce international, la garantie avait en réalité pris la forme d'un couple formé par une garantie et une contregarantie. La banque lituanienne avait manifestement sous-traité l'affaire, puisqu'elle fit appel à une autre banque, manifestement une de ses correspondantes, la Commerzbank, pour endosser le rôle de contregarante, ce que cette dernière accepta de faire moyennant le dépôt de fonds en garantie dans ses livres par la banque lituanienne. La Commerzbank avait ensuite émis une contregarantie au bénéfice de la banque indienne des clients de l'entreprise lituanienne qui intervenait comme banque garante. 

Une procédure d'insolvabilité fut ouverte à l'encontre de la banque lituanienne. Postérieurement, la contregarantie de la Commerzbank fut appelée sur fond d'inexécution du contrat principal, et celle-ci débita à due concurrence le compte de couverture ouvert au nom de la banque lituanienne dans ses livres. 

L'entreprise lituanienne fit admettre ses créances au passif de la banque lituanienne, parmis lesquelles figurait la créance de restitution des fonds qu'elle avait remis à sa banque à titre de couverture des garanties émises (et qui avaient été, comme on l' adit, appelées).

La banque lituanienne "compensa" par ailleurs (selon la terminologie de l'arrêt, voir point 15) la créance qu'elle estimait tirer, vis-à-vis de sa cliente, des prélèvements opérés par la Commerzbank sur les avoirs de couverture qu'elle avait déposés en compte (le fondement exact de cette créance ne peut être élucidé à partir des données disponibles, mais l'on peut supposer qu'elle se trouvait dans le contrat de garantie financière conclu entre la banque et son client), non sur les fonds en compte qu'elle avait elle-même déposés, mais sur l’indemnité perçue en application des dispositions lituaniennes sur l’assurance des dépôts, qui se trouvait sur un autre compte de l'entreprise. Les motifs de cette décision furent manifestement inspirée de l'idée -à vrai dire peu claire- qu'elle ne pouvait, eu égard à la procédure d'insolvabilité, mobiliser les fonds remis au titre de garantie financière pour apurer sa créance (voir infra). Elle sollicita ensuite la condamnation de l'entreprise lituanienne à lui rembourser le solde restant dû, majoré des intérêts.

Les juridictions lituaniennes de première instance et d'appel firent droit à cette demande, estimant que "les fonds bloqués en garantie par l'entreprise lituanienne étaient tombés dans la masse de la faillite et que le droit de cette banque d’en disposer était limité par l’interdiction d’exécuter toute obligation qui ne l’avait pas été à la date de l’ouverture de cette procédure, en application du droit national en la matière" (point 16 de l'arrêt). En d'autres termes, et si l'on comprend bien ces décisions (la chose n'est guère aisée ...), l'impossibilité pour la banque lituanienne d'exécuter ses obligations consécutivement à l'ouverture, à son encontre, d'une procédure d'insolvabilité la privait du droit de disposer des avoirs déposés en garantie pour se faire courvir des décaissements constitués par les prélèvements réalisés par la Commerzbank.   

La Cour suprême de Lituanie fut saisie d'un pourvoi en cassation. L'entreprise estimait en effet, non sans raison, que la position des juridictions de fond la plaçait dans la situation particulièrement inconfortable de devoir supporter deux fois la charge de la sûreté qu'elle avait constituée à l'appui de l'émission de la garantie, puisque non seulement elle était condamnée à indemniser la banque à concurrence des prélèvements effectués par Commerzbank, mais encore qu'elle était de facto privée du droit de récupérer la sûreté initialement constituée puisque sa démarche à cet égard venait se heurter à la loi du concours. Quant à la banque, elle faisait valoir (pour des motifs un peu obscurs, nous l'avons dit) que les réglementations bancaires et relatives à l'insolvabilité lui interdisaient de disposer des fonds remis par sa cliente en apurement de ses propres créances. Suivant manifestement cette position, la Cour suprême livra quelques éléments de droit lituanien desquels il se déduisait, selon elle, que "la remise à titre de garantie financière de fonds se trouvant sur un compte bancaire a eu pour effet de donner en garantie la créance de restitution de ces fonds, la propriété desdits fonds étant transférée à la banque", que "l’interdiction d’exécuter toute obligation non encore exécutée à la date de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ... s’opposerait à la réalisation de cette garantie et à son utilisation effective par le preneur" (ce motif est sans doute propre aux garanties incarnées par des créances sur l'établissement lui-même, dont la mise en oeuvre (c'est-à-dire, nécessairement, le règlement au terme d'une opération de compensation) ne peut être provoquée après le concours), étant entendu que la créance résultant de l'intervention de la garantie des dépôts pouvait elle manifestement être engagée dans un processus de compensation, puisqu'elle ne procédéait nullement d'une garantie constituée avant l'ouverture de la procédure d'insolvabilité) et qu'effectivement, "si le constituant (était) tenu de régler les obligations financières couvertes à l’aide de ses autres actifs en raison de cette non-exécution, il se heurtera(it), en pratique, aux règles en matière d’insolvabilité pour récupérer ladite garantie" (point 19 de l'arrêt).  

Dans son arrêt, la Cour de Justice a d'abord considéré que la directive relative aux contrats de garantie financière "ne distingue pas selon que l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité intervient à l’égard du constituant ou du preneur, (et) doit être interprétée en ce sens que le régime qu’elle instaure confère également aux preneurs des garanties financières le droit d’exécuter ces garanties, indépendamment de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à leur égard" (point 26 de l'arrêt). Il s'est agi, en effet, en autres, de favoriser la stabilité du secteur financier et d'encourager, en conséquence -conformément à une solution chère aux systèmes financiers- le dénouement des opérations souscrites ou en cours en dépit de la survenance d'une procédure d'insolvabilité ou d'un cas de concours à charge d'un établissement financier (voyez notamment, en ce sens le point 24 de l'arrêt). Dans son arrêt du 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group (C‑156/15, EU:C:2016:851), la Cour avait déjà décidé que la garantie financière doit pouvoir prendre effet en dépit de l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à charge du constituant.

Aussi, selon la Cour, "une interprétation de l’article 4, paragraphe 5, de cette directive selon laquelle la garantie financière avec constitution de sûreté deviendrait inopérante du fait de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’égard du preneur, empêchant ce dernier de recouvrer effectivement sa créance sur cette garantie et obligeant le constituant, en pratique, à lui payer une seconde fois le montant de ladite garantie, se heurterait tant (au texte qu'aux objectifs de la directive sur les contrats de garantie financière)" (point 28 de l'arrêt).

Ceci amène nécessairement à considérer que le droit de la banque (soit l'"obligation financière couverte" au sens de l'article 2, f) de la directive) doit pouvoir être mis en oeuvre sur la garantie constituée par un dépôt d'espèces en compte, même si ce droit est né ou a été rendu exigible après l'intervention d'une procédure d'insolvabilité affectant ladite banque. La solution est d'ailleurs conforme, comme on l'a déjà dit, au principe du dénouement des opérations financières en cours, en dépit de la survenance d'une procédure d'insolvabilité affectant un participant, principe est venu bousculer bien des solutions traditionnelles en matière de concours, et réinsuffler, de façon plutôt heureuse selon nous, un peu de dynamisme dans une matière parfois hantée par le dogmatisme figé de l'égalité, et par une propension à la rigidité. 

Répondant à la seconde question posée par la Cour suprême de Lituanie, la Cour de Justice a également considéré que "l’article 4, paragraphes 1 et 5, de la directive 2002/47 doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas au preneur d’une garantie constituée en vertu d’un contrat de garantie financière avec constitution de sûreté une obligation de recouvrer sa créance, née de l’inexécution des obligations financières couvertes par ce contrat, d’abord sur cette garantie" (point 38 de l'arrêt). Ceci semble conforme au principe même de la garantie, au confort qu'elle procure et au caractère facultatif qui s'attache à sa mise en oeuvre. La Cour a cependant ajouté qu' "à défaut de stipulations contractuelles régissant cette question, il découle des finalités (de la directive relative aux contrats de garantie financière) que le preneur doit recouvrer sa créance d’abord sur la garantie constituée à cette fin avant d’avoir recours à d’autres actifs du constituant. En effet, une telle exigence, en ce qu’elle permet au constituant de ne pas, en pratique, payer une seconde fois le montant de cette garantie correspondant à sa dette, est de nature à éviter un effet de contagion en cas d’insolvabilité du preneur" (point 36 de l'arrêt). Le raisonnement de la Cour est ici plus étonnant, puisqu'il revient à soutenir à la fois qu'il convient de s'en remettre au premier chef aux dispositions du contrat et que les finalités de la directive -dont personne ne contestera le caractère d'ordre public- imposent au preneur de la garantie financière de donner priorité à celle-ci par rapport aux autres éléments du patrimoine du constituant, en vue de l'exécution de l'obligation financière couverte.   

La troisième question, par laquelle la Cour suprême lituanienne souhaitait savoir si le constituant de la garantie devait être considéré comme privilégié dans le contexte de la récupération, auprès du preneur, de la garantie financière qu'il avait constituée, lorsque ce dernier avait, comme en l'espèce, recouvré sa créance née de l’inexécution des obligations financières couvertes sur des actifs du constituant autres que la garantie, a été déclarée irrecevable, en tant que, toute intéressante fût-elle (et elle l'était assurément), il n'était pas établi qu'elle était pertinente pour trancher le litige dont la juridiction de renvoi était saisie: comme l'indique la Cour de Justice, "il ne résulte pas des indications figurant dans la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi serait saisie d’une demande reconventionnelle en restitution de la garantie financière contre cette banque ni qu’elle serait appelée à trancher les questions portant sur le recouvrement de la créance de (l'entreprise lituanienne) sur (la banque) au titre de cette garantie, dans le cadre de cette procédure d’insolvabilité" (point 41 de l'arrêt).

Une des difficultés de cette affaire, et non des moindres, est sans doute d'ordre terminologique (les affaires de droit ne sont-elles pas toujours des affaires de langage ?): il fallait bien distinguer, en l'espèce, la notion de "garantie financière", au sens de la directive, et la "garantie bancaire", cette forme particulière de crédit de garantie aussi vieille que le monde, et fort usitée dans le commerce international.   

 

Olivier Creplet 

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